du lundi 16 au dimanche 22 mars 1992
au cinéma Le Breteuil
Cinéma autour de ...
Une collaboration Marseille Objectif Danse - Extérieur Nuit
Bresson, Dreyer, De Oliveira, Tarkovsky.
La recherche que nous menons se trouve à la limite de plusieurs domaines artistiques. Une force nous pousse à nous éloigner des définitions où s’enferment les éléments prétendument repérés de la représentation théâtrale. On tente de se déplacer intérieurement sur des zones d’ombre incertaine qui séparent et relient les différentes émergences d’un même noyau central : Ecriture, Danse, Théâtre, Musique, Arts Plastiques, Cinéma.
Claude Régy
Films choisis par Claude Régy
– Ordet de Carl Th. Dreyer
– Jour de colère (Dies Irae), de Carl Th. Dreyer
– Gertrud, de Carl Th. Dreyer
– Au hasard Balthazar, de Robert Bresson
– L’argent, Robert Bresson
– Mouchette, de Robert Bresson
– Nostalghia, de Andrei Tarkovsky
– Le sacrifice, de Andrei Tarkovsky
– Francisca, de Manoel de Oliveira
“Et cette barrière théâtre-cinéma, qu’elle tombe, et beaucoup d’autres avec, ce serait bien”. (1)
Dreyer :
“Tous les films de Dreyer sont des films de la parole (y compris “Jeanne d’Arc”...), cela est l’esprit même du théâtre : lieu où s’élabore et s’élucide un texte, et rend compte en partie de la manière dont notre attention est sollicitée. Par le surgissement d’un sens.
Le cinéma est conçu comme technique de la révélation”. ( 2 )
Dreyer tout comme Bresson a constitué son cinéma contre le théâtre. C’est ce que tous deux affirment dans leurs écrits et divers entretiens. Le théâtre étant donné par Dreyer comme l’art du faux, alors que “l’essence la plus intime du cinéma est un besoin de vérité”. ( 3 )
Mais Dreyer a eu besoin du théâtre ; la plupart de ses longs métrages (Dies Irae et Ordet) sont adaptés de pièces de théâtre. Quant à son dernier film Gertrud, il se situe aux confins du théâtre et du cinéma.
Une des choses que Dreyer reprochait le plus au théâtre, c’était d’être une vision de loin. De même qu’il célébrait le plan rapproché dans lequel les acteurs se trouvaient obligés de jouer “naturel et vrai”.
“Il n’y a rien au monde qui puisse être comparé à un visage humain. C’est une terre qu’on n’est jamais las d’explorer, un paysage (qu’il soit rude ou paisible) d’une beauté unique”. ( 3 )
Claude Régy :
“J’attache une grande importance au cadrage. J’ai été extrêmement influencé par le cinéma : j’essaie d’amener des acteurs en gros plan en décadrant, et si possible de faire un lieu scénique entre spectateurs et acteurs, un lieu mental qui englobe l’aire de jeu et l’aire du public. Et là, j’organise des présences très rapprochées carrément avouées face au public...”.(1 )
“Il me semble avant tout que les éclairages devraient restituer les visages, car le visage est une table de lecture sur laquelle le spectateur capte les éléments qui lui permettent de recréer, recomposer, réinventer, réécrire le spectacle...” ( 1 )
Bresson :
Bresson pourfendait aussi bien le théâtre que le cinéma auxquels il opposait son cinématographe qui “crée la vie à partir d’éléments aussi nature, aussi bruts que possible... C’est le système de la poésie... Le cinéma, au contraire, recopie la vie avec des acteurs et photographie cette copie de la vie...”. ( 4 )
Mais c’est surtout les acteurs qu’il rejette en leur substituant ses “modèles” : “Modèles - leur façon d’être les personnes de ton film, c’est d’être eux-mêmes, de rester ce qu’ils sont” ( 4 )
Pour Claude Régy “les acteurs doivent exister en tant qu’eux-mêmes, c’est en fonction de ça que je les choisis et ils doivent -cette capacité-là m’est le plus indispensable- laisser voir à travers eux autre chose qu’eux-mêmes”. ( 1 )
Manoel De Oliveira :
Chez Manoel De Oliveira, le choix des acteurs et des visages obéit à une recherche encore plus paradoxale que celle de Bresson. Là où celui-ci s’intéresse à d’éventuels modèles, celui-là les prend comme des paysages.
Pour Manoel de Oliveira le cinéma doit passer par la stylisation qu’implique le théâtre. Il s’intéresse à des formes, à une forme de cinéma qui est d’une certaine façon impossible ou en tout cas paradoxale puisqu’elle prend en charge un récit littéraire ou une oeuvre théâtrale dont la difficulté de traduction non seulement scénique, mais cinématographique, est extrême.
“Le cinéma est un procédé de fixation audio-visuel et j’ai donc pensé qu’il était aussi légitime de fixer une parole ou un discours qu’une image, un beau texte qu’un beau paysage ou un beau visage - leur valeur est équivalente. Et seul le cinéma a le pouvoir de fixer tout cela d’un seul coup : la figure, la voix, le texte...
Parce qu’on fait du théâtre, au cinéma, lorsqu’on représente le théâtre lui-même. Ce que je n’ai jamais fait. Ce que je fais, c’est de représenter la vie. Or, la représentation de la vie, c’est le théâtre. Donc ce que je fais, c’est du cinéma”. ( 5 )
Tarkovsky :
Claude Régy : “Et peut-être pendant ce film Nostalghia, en regardant la manière dont sont photographiés les lieux je me suis défait de la grossièreté du théâtre....
Devant les films de Tarkovsky nous sommes ramenés à la situation du spectateur primitif des premiers films Lumière, à observer la réalité et la beauté des choses, l’écoulement du temps réel, celui de la prise de vue comme de la projection. Il y a un suspense tarkovskien qui tient en haleine de plan à plan, de séquence à séquence, de figure à figure”. (1 )
Dans la distribution de Chutes l’acteur de Nostalghia, Oleg Jankovsky.
Michèle Berson, Extérieur Nuit
( 1 ) Claude Régy, in Espaces Perdus - Plon
( 2 ) Jacques Aumont, in Cahiers du Cinéma n° 207
( 3 ) Carl Th. Dreyer, in Réflexions sur mon métier - Coll. Ecrits, Cahiers du Cinéma
( 4 ) Bresson, in Notes sur le Cinématographe - Gallimard
( 5 ) Entretiens avec Manoel De Oliveira, in Cahiers du Cinéma n° 379.