La course de la vie - jusque là, maintenant
Maguy Marin
Il y a un lieu de naissance, autre qu’une ville. Toulouse. Un emplacement atteint suite à une série de déplacements provoqués par des mouvements politiques en Espagne. Ainsi, grandir par là, en France, au tout début des années 50.
Puis il y a un désir de danser qui se confirme par un enchaînement d’études - de Toulouse, à Strasbourg puis à Mudra (Bruxelles). Un élan dans lequel se manifestent déjà des rencontres : les étudiants acteurs du Théâtre National de Strasbourg, Maurice Béjart, Alfons Goris et Fernand Schirren ... Une volonté qui s’affirme avec le groupe Chandra puis au Ballet du XX ème siècle de Maurice Béjart.
Nouvelles rencontres - autres évidences. Le travail de création s’amorce aux côtés de Daniel Ambash, et les concours de Nyon et de Bagnolet (1978) appuient cet élan. Une équipe se constitue (avec Christiane Glik, Luna Bloomfield, Mychel Lecoq,...) et engage une recherche artistique portée par un étonnement inapaisable de ce qui compose le monde.
Ainsi faire vivre cette recherche artistique. Porter cette nécessité de créer à un devoir faire. Un faire nourri par un étonnement inapaisable de ce qui compose le monde. Un monde que l’on agence et qui nous constitue. De recherche en création, ce saisissement ne cesse de s’exercer, mais aussi de se déterminer au fil des rencontres.
1981, une rencontre constitutive : celle avec l’œuvre de Samuel Beckett. Là s’ouvre la perception de l’être là, sans l’avoir décidé, entre ce moment où l’on naît, où l’on meurt. Ce moment que l’on remplit de choses futiles auxquelles on voue de l’importance. Ce moment dans lequel nous nous trouvons dans l’obligation de trouver encore et encore la capacité de tenir debout, de continuer à parler, de partager la vie avec plusieurs autres, en attendant de mourir (May B, Babel).
1987, une nouvelle rencontre : celle avec Denis Mariotte. Une collaboration s’amorce. Décisive, elle s’ouvre au delà de la musique. Les points de vue commencent à se décaler. Un espace de distanciation s’ouvre (Cortex) et se prolonge de manière multiple (Waterzooï, Ram Dam, Pour ainsi dire et Quoi qu’il en soit). Plus d’illusion, mais des êtres vivants, tels quels.
De la musique vivante et du vivre ensemble qui n’est plus l’expression d’un “moi”, mais d’un “nous, en temps et lieu”. Un croisement de présences qui agit dans un espace commun. (Points de Fuite, Les applaudissements ne se mangent pas).
Là sur le plateau, nous sommes composants d’un espace social. Nous sommes aussi l’expression d’un espace des autres. Nous - collectivement - prenons chacun une place. Dans un « comment vivre ensemble » qui ne finira jamais de s’expérimenter. Chercher jusque là, avec une composante, une compagnie. Une tentative de travailler à plusieurs sans cesse bouleversante. Et pouvoir en vivre, force de volonté avec de nombreux collaborateurs. Force de confiance avec l’accueil à la Maison de la Culture de Créteil dirigée par Jean Morlock (de 1981 à1990) ; mais aussi force de soutiens publics constants.
1990, la compagnie devient le Centre de chorégraphie national de Créteil et du Val-de-Marne où se poursuit un travail artistique assidu, et une intense diffusion de part le monde.
En Europe : Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Islande, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Russie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Yougoslavie
Au Moyen Orient : Chypre, Syrie, Israël et Jordanie
En Extrême Orient : Corée du Sud, Indonésie, Hong-Kong, Japon, Singapour, Taïwan et Thaïlande
En Afrique : Tunisie et Egypte
En Amérique : Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, États-Unis, Mexique, Pérou et Uruguay
En Océanie : Australie et Nouvelle-Zélande
1998, une nouvelle implantation. Un nouveau territoire pour un nouveau Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, dans le quartier de la Velette. Avec la nécessité de reprendre place dans l’espace public. Pour célébrer les richesses des différences et le plaisir du jeu très vivant de la création. Agencer des soutiens qui rendent possible ce qui ne peut s’effectuer seul : intercommunalité (Rillieux-la Pape, Bron, Décines, Villefranche-sur-Saône jusqu’en 2000 et Villeurbanne jusqu’en 2004) et soutiens croisés (État, Région Rhône Alpes, Conseil général du Rhône).
Sans cesse dans l’expérimentation de nos possibles – petits ou grands - (Umwelt) pour ne pas perdre de vue qu’échapper au réel est bel et bien une agitation dérisoire (Ha ! Ha !). Et dans ce tumulte, ordonné ou désordonné, des rythmes cohabitent et forment le mouvement, le vivant (Turba).
Avec l’arrivée en 2006 d’un nouveau bâtiment - pour le CCN de Rillieux-la-Pape. Un lieu à habiter et à co-habiter, un laboratoire citoyen qu’est l’art de la scène destiné aux regards de la cité pour qu’ait lieu le geste d’une poétique publique. Faire que se fabrique et s’exprime par l’adresse publique, de lieux en lieux, de villes en villes, de pays en pays, la part d’existence que l’art nous renvoie. Et par-delà ces multiples endroits, partager les moyens, les outils, les expériences et les actions. Croiser les champs artistiques, créer, soutenir des recherches, ancrer des actes artistiques dans divers espaces de vie sociale, des écoles aux théâtres, des centres d’art aux centres sociaux, des espaces publics aux habitations ouvertes, des lieux de recherches aux maisons de quartier en faisant vivre le geste artistique comme puissance poétique du faire et du refaire les mondes.
L’année 2011 sera celle d’une remise en chantier des modalités dans lesquelles s’effectuent la réflexion et le travail de la compagnie. Après l’intensité de ces années passées au CCN de Rillieux-la-Pape, s’ouvre la nécessité d’une nouvelle étape en reprenant une activité de compagnie indépendante. Cette décision importante répond au désir toujours très vivant et impératif d’expérimenter autrement l’enjeu que présente l’acte de création, comme un potentiel capable de prolonger sous d’autres formes ce qui en est le cœur.
Après un passage de 3 années à Toulouse, ville qui accueillera pour un court temps cette nouvelle aventure, sans répondre favorablement au besoin impérieux d’un espace de travail pérenne pour une compagnie permanente, l’idée d’une installation à ramdam, une ancienne menuiserie acquise en 1995 grâce aux droits d’auteur à Sainte-Foy-lès-Lyon a pris corps. Ce lieu est activé depuis 17 ans par une association qui propose aux artistes des résidences, de la formation et des ouvertures publiques. Ce projet actif et pérenne est actuellement soutenu par la Région Rhône Alpes, l’Etat et la ville de Sainte-Foy-lès-Lyon.
L’installation de la compagnie dans ce lieu en 2015 permettra de continuer à ouvrir l’espace immatériel d’un commun qui cherche obstinément à s’exercer et enclenchera le déploiement d’un nouveau projet ambitieux en coopération avec l’actuelle équipe : ramdam, un centre d’art.