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Merce by Merce by Paik

un film de Nam June Paik , 1978, 30’

jeudi 22 juin 2006 à 19h30 | cinéma le miroir dans le cadre de l’événement Chorégraphes à la caméra
 
mardi 29 juin et mardi 6 juillet 2010 | cinéma le miroir dans le cadre de
Focus Merce Cunningham, Carte Blanche marseillle objectif DansE, en partenariat avec le Festival de Marseille - F/D/Am/M - juin/juillet 2010

Merce by Merce by Paik, 1978, 30’
 
Le film est composé de Blue Studio : Five Segments [1975-76, 15 minutes], de Merce Cunningham et Charles Atlas, et de Merce and Marcel [1978, 15 minutes], de Nam June Paik et Shigeko Kubota.
musique de David Held et Earl Howard.

 

« A la suite de A Tribute to John Cage [1973], Nam June Paik crée des oeuvres vidéo conçues sous la forme de programmes télévisuels qui médiatisent ou rendent hommage à des artistes avant-gardistes proches de John Cage et de Fluxus.
Merce By Merce By Paik présente la conception postmoderne de la danse de Merce Cunningham, en deux parties comme l’indique la forme du titre. Nam June Paik cite Blue Studio, une vidéo danse de 1975. Il développe sous le titre Merce and Marcel la conception du danseur en reprenant par l’image ses principaux arguments et en les interrogeant par des phrases inscrites sur l’écran, puis il contextualise l’oeuvre et questionne le temps par un jeu de séquentialisation rythmée. L’oeuvre s’ouvre sur une double séquence avec, d’une part, en voix off une conversation téléphonique entre Merce Cunningham et Jasper Johns, d’autre part, l’image du chorégraphe dansant incrustée dans un plan séquence d’une rue de New York. Cette introduction à l’oeuvre et à la Compagnie Merce Cunningham est créée par indices sans que les rapports ne soient définis. Le peintre Jasper Johns fut le conseiller artistique de la Compagnie. Le mouvement du danseur s’inscrit dans un espace limité, dont la conception est déterminée par l’orthogonalité, la verticalité et le mouvement incessant de la ville.

 

Les séquences de Blue Studio rendent compte des débuts de la vidéo danse, qui est alors un travail de régie vidéo : l’enregistrement sur fond bleu, l’incrustation, le changement de décor, le redoublement et la surimpression. La vidéo danse évoluera ensuite vers une multiplication du nombre de caméras - et par conséquent des points de vues sur les danseurs - et transformera ainsi le point de vue frontal de la théâtralité. Blue Studio présente plusieurs modèles. Merce Cunningham et son double [défini par la ligne-contour de son corps] suivent le même mouvement. Le danseur apparaît plusieurs fois dans le même écran où, vêtu de couleurs distinctes, il exécute des chorégraphies différentes. Cette simultanéité est réalisée par le collage et l’incrustation. Les espaces se succèdent et imbriquent des référents distincts : les espaces clos du studio et du téléviseur, le paysage [une route, la mer défilent en arrière-plan], la confrontation de langages historiques de la danse et de comportements instinctifs [le danseur est incrusté sur l’enregistrement en noir et blanc d’un ballet classique, et s’ajoutent successivement en surimpression sur cette incrustation le comportement et le cri d’une grenouille, d’un chien, puis d’un gorille], l’espace démultipliable de l’écran [le danseur disparaît dans un espace invisible défini par une ligne abstraite dans l’écran, puis il arrive de droite, de gauche et du haut de l’écran dans le même instant, donnant l’impression d’un espace sans direction]. La vidéo offre à la danse des espaces transformables et à inventer. Merce Cunningham change de décor ou d’espace par une forme de zapping télévisuel. Dans cette première partie, la danse en tant qu’expression et l’espace théâtral historiquement déterminé s’effondrent conceptuellement. Les séquences de vidéo danse sont sonores, bien que Merce Cunningham exclue la détermination de la danse par la musique.

 

Des voix off seules ou mêlées introduisent de courts énoncés biographiques, des propos de et sur John Cage, des conversations et des pensées sur le temps. Des extraits musicaux [notamment de John Cage], des sons électroniques et des bruitages [bruits environnementaux, conversations, aboiements, etc.] se succèdent et se superposent.

 

Des séquences contextualisantes très courtes et des extraits de Global Groove [des clips musicaux et des danseuses asiatiques] entrecoupent Blue Studio. Le portrait de John Cage indique sans les nommer les rapports du compositeur et du chorégraphe, la relation intime d’une part et artistique d’autre part, avec les conceptions et les stratégies de création communes [le zen qui s’oppose à la conception de l’artiste inspiré et de l’art comme expression d’un individu et représentation de sentiments, d’émotions et de thèmes, le hasard, le collage, le happening ou event, les lieux non conventionnels, etc.] et sa participation à la Compagnie au titre de compositeur et directeur musical.

 

Dès la fin de la première partie et dans la seconde, Nam June Paik oppose le temps aux changements d’espace et de décor et au rythme lent des séquences de Blue Studio. Ce concept a une place secondaire dans la définition de la danse de Merce Cunningham qui est fondée sur le mouvement permanent de la vie, tel que Nam June Paik le montre en rapportant par l’image les arguments du danseur : le mouvement comme instinct [à la référence animale qui précède, l’artiste ajoute les premiers pas d’un enfant et s’interroge : "Is this dance ?", puis reprenant cette séquence il répond : "Yes. May be. Why not ?"], la manifestation d’une énergie [un extrait d’un film de kung-fu], le mouvement permanent dans la nature qui est aussi le flux ininterrompu du temps [sur les chutes du Niagara dansent des silhouettes solarisées], enfin l’activité sociale incessante indiquée en particulier par la circulation automobile urbaine [l’artiste cite la séquence des taxis new-yorkais extraite de la bande Sweet Verticality [1974] de Bill Gwin].
Nam June Paik contextualise historiquement cette conception par un portrait de Descartes, un travelling sur l’installation vidéo de Shigeko Kubota, Nu descendant l’escalier [qui réfère à la décomposition du mouvement dans le tableau de 1911 de Marcel Duchamp], Merce Cunningham à la galerie Leo Castelli [les institutions des arts plastiques furent les premières à reconnaître et à soutenir le travail du chorégraphe], des entretiens de Marcel Duchamp, des oiseaux, des poissons et d’autres séquences d’agrément et de consommation qui participent à ce parcours.

 

Les entretiens ne sont pas présentés en tant qu’objets de savoir, mais en tant qu’enregistrements issus du passé et existant aujourd’hui comme matériau destiné à l’usage de la vidéo comme il en était de la pierre pour la sculpture. Le travail est celui du temps par la séquentialisation : fragmenter, additionner, entrecouper, lire à l’endroit ou à l’envers, relire le même instant. Nam June Paik crée ainsi une danse des séquences. Celle-ci met en évidence certains mouvements [la répétition insistante d’un court fragment d’un enregistrement de Marcel Duchamp révèle sa gestuelle]. Elle tourne en dérision et suggère l’immobilisme à l’intérieur d’une époque, d’un style ou d’une forme [les débuts de deux entretiens de Russel Connor, l’un de 1964, l’autre de 1974, le montrent posant des questions identiques à Marcel Duchamp et à Merce Cunningham]. Elle brouille la temporalité des sujets enregistrés [la rencontre de Leo Castelli et du chorégraphe est montrée dans un incessant aller et retour de la bande se posant comme un obstacle à leur action et à leur conversation] et crée des anachronismes [au cours d’un entretien de Marcel Duchamp, surgit l’image de sa tombe, et le portrait de Descartes apparaît de façon énigmatique].

 

Merce and Marcel rend hommage à Marcel Duchamp, dont l’oeuvre et l’esprit ont marqué Nam June Paik et Merce Cunningham. En 1968, le chorégraphe a adapté La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, dans une oeuvre intitulée Walk Around Time.
Merce By Merce By Paik réunit Fluxus et Dada par de courts propos sur l’art. Nam June Paik énonce cette phrase célèbre : « Video is a vacation of art », puis conclut la bande en donnant le mot final à Marcel Duchamp qui cite Constantin Brancusi : " Art is a mirage". »
 

Thérèse Beyler