ressources Natacha Romanovsky chantier / résidence Nous sommes Nature… Tel était le point... | projet en cours

Nous sommes Nature… Tel était le point... | projet en cours

année 2023

Du 17 au 28 avril
Studio moD / Friche la belle de mai

Recherche en cours
✥ en résidence au studio marseille objectif DansE du 17 au 28 avril 2023

By Natacha Romanovsky

www.llrecherche.beromanovsky

Nous sommes Nature… Tel était le point d’arrivée de ma première recherche à L’L… Et le point de départ de cette seconde. Avec la différence que je me concentre cette fois, non plus sur l’humain, mais sur le non-humain : le végétal, l’animal, le minéral, l’atmosphérique…
Mais comment parler du non-humain en tant qu’humain ?
Quelles pratiques adopter pour aller à la rencontre de ce non-humain ?

Par des explorations dans le grand dehors (la « nature », dit-on aussi) et par des expérimentations au plateau nourries de ces premières, ma démarche consiste à chercher des voies pour parler non seulement du non-humain, mais aussi (voire surtout) pour entrer en communication avec le non-humain dans la reconnaissance de son altérité, afin de déconstruire le paradigme qui place l’humain au-dessus et en-dehors de tout ce qui existe, créant une soi-disant « réalité » établie comme vérité absolue, qui n’est en fait qu’un « hors-monde » où l’humain flotte, déconnecté de ce qui façonne réellement le monde.

Mon travail d’exploration dans le grand dehors a pour objectif de développer un certain type d’attention, une awareness. Seul ce terme anglais permet d’englober les différents degrés dont il est question ici : la conscience de (mais non réflexive), le savoir (mais non théorisé), la capacité de se focaliser sur, la sensibilité (dans une globalité), l’expérience de.
Une telle awareness me paraît indispensable pour nous positionner au cœur de notre véritable état d’humain – ce positionnement étant la seule voie possible pour vivre bien maintenant, et envisager un avenir acceptable (considérant l’approche contemporaine « moderne », « occidentale », du monde comme inacceptable), un devenir décolonisé des systèmes mortifères qui voudraient nous faire tolérer l’inadmissible.

À partir de ces expériences in situ dans lesquelles mon corps et mes sens sont mes premiers outils, je cherche les moyens (les langages, les médiums, les modalités) pour les transposer – et les transmettre – dans le dedans du plateau. Ici aussi, il s’agit avant tout pour moi d’un travail sur l’attention : répondre à la nécessité de donner à (perce)voir la densité du monde (densité à comprendre ici comme un enchevêtrement de complexités d’existences, vivantes, non-vivantes, et aux temporalités multiples) en tentant en particulier de déconstruire des notions trop souvent utilisées pour parler de la « nature ». Des notions telles que le silence et la solitude (« Croire que nous sommes seuls, c’est se tromper de monde »*) ou encore, celle du paysage, qui réduit le grand dehors en un décor inerte.

Par-là, je cherche à raconter des histoires qui convoquent des présences autres, des histoires qui réactivent le sensible, qui contiennent le monde non-humain au lieu de l’éliminer, des histoires qui procèdent par additions plutôt que par soustractions. Ces histoires peuvent êtres musculaires, sonores, parlées, écrites, tracées, dessinées… Elles peuvent être récoltées, imaginées… Ou tout cela à la fois…

Il est grand temps de cesser de se méfier de l’expérience sensible et d’entamer des dialogues cohérents avec toutes les formes d’existences qui composent la chair du monde, « Il faut penser avec son corps terreux »**. C’est autant une question d’éthique, de respect, de dignité que de responsabilité.
Prendre en charge notre véritable humanité ne se fera pas sans connexion avec ce qui n’est pas humain ni sans rendre sa véritable présence à ce qui n’est pas humain. En somme, il serait bon de commencer à rentrer dans l’Ubuntucène. Terme qui peut sembler énigmatique, mais qui est très signifiant à mon sens : « ubuntu » est un concept utilisé dans différentes langues bantoues d’Afrique australe, qui évoque entre autres le lien entre chaque individu, le lien avec les autres, l’interconnexion, l’interdépendance, l’attention portée aux autres, un « je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » qui se joue dans un constant réajustement créatif.

Natacha Romanovsky, octobre 2023

* Olivier Remaud, Penser comme un iceberg, Actes Sud, 2020.
** Carol Bigwood, Earth Muse : Feminism, Nature and Art, Temple University Press, 1993, citée et traduite dans l’ouvrage de Pascale d’Erm, L’écoféminisme en questions, Éditions La Plage, 2021.