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Black Mountain College [2012]

colloque | vendredi 29 juin 18h30-20h | samedi 30 juin 15h-19h | Friche la Belle de Mai

Intervenants
 
Patrick Bouchain
 
Jean-Pierre Cometti
 
Martin Richet
 
Rachel Stella
 
Christian Tarting
 
Frédéric Valabrègue
 
Joëlle Zask

Black Mountain College 2014

Black Mountain College
conçu et produit en partenariat avec le cipM, centre international de poésie Marseille

 

Depuis leur création, marseille objectif DansE et le cipM travaillent ensemble à la production de manifestations, parmi lesquelles nous citerons An Open Cage qui, durant un mois et demi, en 2008, a réuni autour des différents aspects de l’oeuvre de John Cage, le FIDMarseille, le Gmem, le Grim, Alphabetville, Radio Grenouille et Zinc/Ecm.
Ces événements, qui font état de nos réflexions respectives sur les fondements de mouvements artistiques majeurs, visent à mettre en perspective les influences et les prolongements de pensées qui irriguent la création contemporaine, afin de lui donner un éclairage particulier, propre à élargir et à affiner ses modes de perception et de compréhension.
Depuis plusieurs années, nous travaillons au projet Black Mountain College [1933-1957] qui nous fournit un champ d’investigation immense et encore très peu exploré.

 

Le Black Mountain College [BMC], a été fondé en 1933, aux États-Unis, pendant la Grande Dépression, par un petit groupe de professeurs — parmi lesquels John Andrew Rice et Theodore Dreier — et d’étudiants, aux vues idéalistes et égalitaires, qu’aucun système éducatif ne satisfaisait et qui s’installe près d’Asheville.
La même année, le peintre Josef Albers et sa femme Anni, obligés de quitter le Bauhaus, fermé par Hitler, rejoignent le groupe.
En 1940, la petite communauté construit elle-même un collège, au bord d’Eden Lake, en Caroline du Nord, au pied des Black Mountain.
La rencontre aussi accidentelle qu’historique entre l’esprit anticonformiste américain et l’avant-garde moderniste allemande, fit du Black Mountain College un lieu de création et d’enseignement unique en son genre.
Entre 1940 et 1957, le College compta parmi ses professeurs et parmi ses élèves, un nombre étourdissant de poètes, écrivains, musiciens, danseurs, peintres, architectes, scientifiques, philosophes …— dont, pour en citer quelques uns : Albert Einstein, Henry Miller, Anaïs Nin, Fernand Léger, Robert Raushenberg, Cy Twombly, Willem de Kooning, Gregory Masurovsky, Kenneth Noland, Buckminster Fuller, Charles Olson, MC Richards, Clayton Eshleman, Robert Creeley, John Cage, Lou Harrison, David Tudor, Merce Cunningham, Arthur Penn, James Leo Herlely, Ruth Asawa, Franz Kline, Robert Motherwell…

Parmi ces figures, nombreuses étaient encore inconnues lors de leur passage au College qui fut un événement déterminant pour leur avenir.
Le Black Mountain College est à l’origine d’œuvres de la modernité créées en un lieu de confrontation, de résonance et de synergie entre pratiques pédagogiques, artistiques et intellectuelles. Expérience éducative et expérimentations créatives, indissociables, y furent une source d’échanges poétiques inédits, dont nous donnons ici deux exemples.
En 1948, John Cage et Merce Cunninghamrejoignent l’université d’été du BMC. Avec Willem de Kooning et Buckminster Fuller, ils reconstituent Le Piège de Méduse d’Erik Satie : Elaine De Kooning tient le rôle principal féminin, Buckminster Fuller celui de baron Méduse, Merce Cunningham signe la chorégraphie, les décors sont de Willem de Kooning et la mise en scène de Helen Livingston et Arthur Penn.
En 1952, c’est au BMC que naît le premier event de l’histoire des arts, qui allait inspirer d’innombrables événements artistiques dans les décennies suivantes. Cet événement sans titre réunissait John Cage, Charles Olson, Mary Caroline Richards, David Tudor, Robert Rauschenberg, Merce Cunningham, Jay Watt.

 

Black Mountain College, par Jean-Pierre Commetti

L’art américain souffre d’une forme particulière de méconnaissance et de malentendu qui se traduit tantôt par une amputation caractérisée de larges pans de son histoire, tantôt par une ignorance tacite ou délibérée des conditions qui ont porté au-devant de la scène les artistes et les œuvres qui en sont tenus pour caractéristiques. L’expressionnisme abstrait offre, sous ce dernier rapport, un excellent exemple de la manière dont une expérience originale en vient à être privée, dans la représentation que nous en avons, des sources dont elle s’est nourrie, bien au-delà de l’image pourtant rémunératrice qui en a célébré les aspects artistiquement les plus novateurs.
Il y a bien des raisons à cela, qui tiennent en partie au peu d’intérêt suscité, jusqu’à une période récente, par les mouvements qui ont inspiré l’intelligentsia américaine dans la période immédiatement antérieure à la Seconde Guerre Mondiale, tant sur le plan artistique que politique, philosophique ou intellectuel, autour de la figure de John Dewey et des idées que celui-ci parvint à infuser dans à peu près tous les domaines, à commencer par l’éducation et la culture.
Black Mountain College marque, à cet égard, un moment crucial dans le développement exceptionnel qui porta au-devant de la scène les artistes qui firent ensuite de New York le lieu privilégié de la modernité artistique. Fondé en 1933 par John Andrew Rice, un an avant la parution du livre de John Dewey qui en contient pour ainsi dire toute la philosophie : Art as Experience, Black Mountain College fut un lieu d’expérimentation sans précédent pour les arts visuels, la musique, la danse et la poésie.
Fondé sur l’idée que les arts doivent jouer un rôle central dans l’éducation et sur la conviction que l’expérimentation dans l’art et l’art dans l’éducation sont la condition d’un enseignement soucieux de développer l’autonomie et les facultés créatrices de l’individu, Black Mountain College devint rapidement le lieu de rencontre et d’expérimentation de toute une génération d’artistes qui vinrent y enseigner et y travailler dans un esprit d’interdisciplinarité dont témoignent les principaux épisodes des vingt-trois années de son existence, de 1933 à 1956.
Confié en 1949 à la direction de Josef Albers, qui avait enseigné au Bauhaus de 1923 à 1933, le College accueillit des noms aussi prestigieux que Lyonel Feininger, Ilya Bolotowski, Walter Gropius, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler, Jacob Lawrence, Beaumont Newhall, Ben Shahn, Robert Motherwell, Elaine de Kooning, Franz Kline, John Cage, Merce Cunningham, Buckminster Fuller, Harry Callahan et Aaron Siskind ou encore Thornton Wilder, Henry Miller, Irwin Panofsky et Anaïs Nin.
Lorque Albers, en 1949, abandonne la direction du College, c’est Charles Olson [1910-1970] qui lui succède. Dès lors, la littérature et la poésie y prennent une place qu’elles n’avaient encore jamais eues.

Vincent Katz qui a étudié l’histoire et l’influence de Black Mountain College sur les arts dans le contexte américain rappelle que la célèbre pièce de John Cage, 4’33, y fut créée dans des circonstances tout à fait significatives, alors que celui-ci observait les White Paintings de Robert Rauschenberg, et que c’est également dans ce contexte qu’eut lieu le premier « happening ». De même, autre exemple, c’est en enseignant à Black Mountain que W. de Kooning s’orienta vers l’usage particulier des couleurs qui marque sa peinture à partir de 1948 . La Compagnie Merce Cunningham y fut également fondée.
L’importance de Black Mountain College ne repose toutefois pas sur la seule notoriété des artistes, des poètes, des musiciens, des philosophes ou des hommes de science qui y enseignèrent et y travaillèrent durant plus de vingt ans. Elle tient surtout à la nature d’un projet qui n’a pas d’équivalent, et dont on n’a pas encore réellement mesuré ni l’originalité ni l’ampleur pour tout ce qui touche à l’art américain, à l’éducation, à la place des arts dans l’enseignement, et plus généralement aux missions mêmes de l’éducation dans une société démocratique.
Il existe toute une littérature sur Black Mountain College en langue anglaise. L’importance n’en est pas moins ignorée ou sous-estimée, y compris de la part des historiens, comme en témoigne l’absence de toute étude en langue française. La seule manifestation qui ait eu lieu en Europe a été réalisée à Madrid, sous la responsabilité de Vincent Katz au Centre d’Arts de la Reine Sophie en 2002, sous le titre : « Black Mountain College : une aventure américaine ». Le projet forgé par le cipM et marseille objectif DansE, à l’occasion de « Marseille 2013 » vise à combler cette lacune et à contribuer, dans une manifestation qui en embrasserait tous les aspects, à une meilleure appréciation de l’art américain, du point de vue de ses sources, des voies dans lesquelles il s’est engagé jusqu’à ce jour ou des aspirations qui l’ont porté, d’un point de vue artistique, intellectuel, social et politique.

 

Jean-Pierre Commetti
Black Mountain College : Une expérience !
L’avant-garde américaine avant et après la Seconde guerre mondiale
.

 

Bien que la signification en ait été souvent ignorée, l’expérience de Black Mountain College [1933-1957] a joué un rôle important au regard des épisodes marquants de l’avant-garde américaine. Le contexte intellectuel dans lequel il a vu le jour, la contribution que lui ont apportée les artistes qu’il a accueillis, la liberté qui en a constitué le nerf majeur sont à la source des aspects les plus novateurs qui ont alors investi le champ artistique avant la Seconde guerre mondiale et dans les années qui l’ont suivie, lorsque New York a pris la place que l’on sait sur la scène artistique mondiale. Les échos s’en sont passablement dissipés dans l’image qui s’est ensuite imposée, une fois passé le souffle, et peut-être l’utopie, dont il fut porteur. Black Mountain fut, à tous égards, ce que John Dewey, qui en fut le principal inspirateur, a appelé «  une expérience  » qui nous invite à réfléchir aussi sur le monde actuel de l’art, ses conditions et ses enjeux.

 

Martin Richet
Composition par champ : le vers projectif à Black Mountain

 

Je voudrais faire deux choses : d’abord, essayer de montrer ce qu’est le vers projectif ou OUVERT, ce qu’il implique, dans son acte de composition, comment, distingué du vers non-projectif, il s’accomplit ; et, II, suggérer quelle posture vis-à-vis du réel peut faire naître de tels vers, ce que fait cette posture, au poète comme à son lecteur.
[La posture implique, par exemple, un changement au-delà de, et plus large que, la technique, et peut, vu l’état des choses, mener à une nouvelle poétique et à de nouveaux concepts d’où une espèce de drame, mettons, ou d’épopée, pourrait émerger.]. Charles Olson, Projective Verse in The Collected Essays of Charles Olson, éd. Don Allen & Benjamin Friedlander, University of California Press.

 

Rachel Stella
Peut-on parler d’une « french touch » à Black Mountain College ?

 

L’école expérimentale Black Mountain College est connue comme creuset de l’avant garde. Généralement on cite les préceptes de John Dewey et du Bauhaus comme modèles pédagogiques. Mais on fait rarement état de l’influence des artistes français. Cette conférence démontrera la présence sur le campus de Camille Bryen, Jean Charlot, Jose de Creeft, René Laubies, Fernand Léger, Amédee Ozenfant, Jean Varda, et Ossip Zadkine.

 

Christian Tarting
Se taire est un récit

 

On pourra fêter, le 29 août prochain, le cinquantième anniversaire de la création de 4’33’’. [Qui ne fut pas donnée alors au Black Mountain College mais en reflète parfaitement l’esprit.]
Célébrissime, l’œuvre dite silencieuse de John Cage a suscité un nombre considérable de commentaires– une bien large part d’entre eux n’évitant pas les errances interprétatives, les considérations pelliculaires ou le pur et simple contresens. En ces temps de double anniversaire [Cage aurait eu cent ans le 5 septembre 2012], il serait peut-être bon de revenir à sa valeur proprement musicale, à sa généalogie, ses principes architecturaux, sa poïétique, plutôt que de s’enferrer à dire ce qu’elle n’est pas ou n’est qu’accessoirement : une pièce silencieuse, une provocation post-dada, une performance, un seul renversement de l’ordre de production de la musique... Il faudrait saisir ce qui se cache derrière le tacet du musicien : se rappeler [enfin ?] que John Cage est avant tout un musicien. Un créateur profondément engagé, par la musique, dans le désir de transformation du monde.

 

Frédéric Valabrègue
Brecht et les event

 

Mon intervention portera sur l’event de George Brecht, mot comprenant le hasard et le temps. Elle ne sera liée au Black Moutain College que d’une façon indirecte par John Cage et par une conception du silence qu’il a initiée. Je m’intéresserai aux performances et aux objets de George Brecht comme continuant la même écoute.

 

Joëlle Zask
Comment enseigner ?

 

Le Black Mountain College fut un lieu dévolu à l’enseignement. La théorie de l’éducation de John Dewey, qui occupe une position intermédiaire entre inculquer et laisser faire, en fut une source majeure d’inspiration. Dans mon exposé, je présenterai quelques aspects de cette éducation en partant d’un propos de John Cage : "enseigner est rendre les étudiants courageux par rapport à leurs propres expériences et idées...".