A propos de Charles Atlas, Domaines hantés
« François Truffaut distinguait malicieusement dans l’œuvre d’Hitchcock deux catégories de films opposées : la première comportant les films réalisés dans l’ordre pair, la seconde dans l’ordre impair.
Dichotomie un brin ésotérique qui se retrouve toutefois - ce n’est pas ici la seule analogie avec l’œuvre hitchcockienne - dans la conception et la démarche cinématographique de Charles Atlas : d’un côté les films réalisés d’après et avec les chorégraphies de Merce Cunningham. Parmi eux et pour mémoire le suprême Channel Inserts (1981) dont la chorégraphie se construit simultanément à la réalisation du film, en venant au fur et à mesure informer, nourrir et parfois déjouer la logique des images selon un suspens visuel ponctué par le martèlement des pas des danseurs et la précision hallucinée du montage. Autre expérience décisive, celle de Torse (1976), l’une des plus belles, des plus souveraines démonstrations de danse jamais conçues pour le cinématographe.
De cette quête fructueuse entre Merce Cunningham et Charles Atlas, naquirent une dizaine de films qui marquèrent l’histoire du cinématographe autant que celle de la danse contemporaine.
Inversement provocants, souvent extrêmes, les films qu’Atlas a conçus plus ou moins clandestinement dès cette époque et dont il poursuivra la réalisation après avoir quitté la compagnie de Merce Cunningham. Films que l’on pourrait qualifier de série B à condition de ne distinguer dans ce genre aucune connotation péjorative mais en les situant au contraire de la manière dont Scorsese en fait l’apologie dans son Histoire du Cinéma Américain : films à budgets réduits, films farouchement impurs, joyaux acidulés qui marquent le retour flamboyant du refoulé dans l’« esthetically correct » dont relèvent si souvent les essais chorégraphiques et cinématographiques contemporains.
Cinéma de l’excès où le principe du documentaire est joyeusement et perversement démenti par les détours ironiques et vénéneux d’une supposée fiction.
Dédoublement qui se retrouve au cœur même de l’aventure de Charles Atlas, qui est non seulement l’un des cinéastes les plus doués de sa génération mais pourrait bien être le Dr Jekyl et Mr Hyde de notre fin de siècle cinématographique. »
Un titan du film de danse
« Parfois, les cinéastes ont de drôles de noms : Louis Lumière, René Clair, Man Ray font penser à la photographie, Kenneth Anger suggère la furie, Michael Snow évoque les paysages nord-américains, etc. Ainsi, en France tout au moins, Charles Atlas - dont le nom sonne comme une fameuse marque de matériel cinématographique - fait automatiquement songer à la question du montage.
Atlas, ciné-vidéaste, l’un des pionniers de la "vidéo-danse", a pris sur le vif un certain nombre de spectacles chorégraphiques (cf. Walkaround Time). Il a toujours eu le souci du champ, recourt volontiers au trucage électronique (cf. ses fameuses incrustations dans Blue Studio), et se préoccupe autant - sinon plus - des mouvements de la caméra que de ceux des danseurs. Comme Maya Deren et Jean Rouch, il préfère la chorégraphie de la caméra à l’utilisation paresseuse du zoom.
Mais comme il le prouve avec l’une de ses meilleures réalisations, Channels / Inserts, qui en dix ans est devenu un classique du film de danse, il ne se contente pas de capter la chorégraphie : il la recompose ou la remonte en lui injectant de multiples sous-rythmes qui créent autant de points de vue nouveaux sur la danse, il retaille et détaille les gestes des danseurs avec un sens rare de la dynamique et de l’ellipse. Il a ainsi adopté plus qu’adapté des pièces chorégraphiques d’Yvonne Rainer, Merce Cunningham, Douglas Dunn, Meg Harper, James Waring, Jody Fabso, Janet Markovitz, Sara Rudner, Karole Armitage, Philippe Decouflé et Michael Clark, qui constituent une anthologie subjective de la danse la plus actuelle. »