du jeudi 2 juin au jeudi 9 juin 1994 à 21h30 à la Friche la Belle de Mai
Accueil réalisé en co-production entre : Système Friche Théâtre, Massalia Théâtre de Marionnettes, Théâtre du Merlan scène nationale, Marseille Objectif Danse, Théâtre de la Minoterie, Association pour les Musiques Innovatrices, Cité de la Musique Marseille, Groupe de Musique Expérimentale de Marseille, Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicales, Centre Culturel Scientifique Technique Industriel.
musique Georges Aperghis texte François Regnault
avec Elena Andreyev, violoncelle Françoise Degeorges, soprano Donatienne Michel-Dansac, soprano Emmanuelle Zoll, soprano Frédérique Wolf-Michaux, contre-alto - production ATEM (Atelier Théâtre et Musique)
« Quand j’ai débuté le travail sur Sextuor, mon intention était de situer ce spectacle dans le prolongement d’une pièce comme Conversations qui plaçait sur la scène trois personnages, sans caractères psychologiques, dont les comportements se situaient entre le comportement humain et le comportement animal. Mais Sextuor est très délibérément structuré par la musique, alors que Conversations l’était par le langage. Les attitudes physiques et les comportements sont ici dictés par la musique, ils deviennent eux-même musique. C’est sans doute la conjonction entre le groupe de cinq chanteuses avec lequel j’ai débuté ce projet et le sujet du spectacle qui amène ça. Le texte que j’avais demandé à François Régnault sur l’origine des espèces, m’a finalement surpris par quelques évidences : par exemple, l’alternance entre les explosions de vie et les grandes périodes de mort et de silence. Il m’apparaissait alors évident que la pièce devait rassembler à la fois une sorte de messe des morts pour toutes les espèces disparues et une ode à la vie pour toutes les apparitions ; non seulement l’apparition d’espèces nouvelles, mais aussi celles de facteurs nouveaux propres à l’évolution du monde animal : la motricité, l’adaptation aux différents milieux, l’apparition des sens, la vue, l’ouïe, etc. Partant de là, j’ai pensé à une sorte d’oratorio, à peine représenté théâtralement, qui parle des espèces comme de gens vivants ; on doit donc avoir l’impression que six femmes parlent des espèces comme de personnes qu’elles connaissent très bien, ou qu’elles pleurent leurs morts comme on pleure la mort d’un proche. Il n’est pas question de voir en Sextuor un spectacle à message, qui demande un accès "cérébral", mais bien plutôt un spectacle d’émotion, qui procure un état d’écoute privilégiant notre capacité à recevoir des émotions comparables à celles que provoque la musique pure. C’est cette relation entre la musique et le sujet qui est la base de ce travail. la continuité musicale ordonne tout. Contrairement à ce que je pratique souvent, le corps des musiciennes ne font pas en sorte que la musique se produise d’une certaine façon, mais la musique contraint leurs corps. Avec une partition stricte et très exigeante, on atteint davantage un spectacle d’image, qui inclue des situations - plastique, géographique, acoustique, etc.- sans qu’il y ait à proprement parler de jeu. C’est vrai que par analogie une espèce se trouve prise dans l’Évolution comme un thème l’est dans une partition ; elle apparaît, se transforme, puis laisse la place à d’autres. Il y a un début et une fin et, surtout, une nécessaire humilité face à l’ensemble de l’organisation. De la même manière les situations se succèdent, humbles, reliées "naturellement" par le continuum musical. Dans ce sens, l’effectif inhabituel me permet de multiples possibilités de différenciation et d’association : les voix entrent ou sortent, restent à l’écart, sont collectives ou au contraire s’individualisent, accompagnent. Mais elles ne luttent jamais contre une masse instrumentale ou a fortiori ne sont jamais soutenues par celle-ci. Grâce au décor et aux lumières qui jouent énormément sur le reflet et créent un espace assez épuré, la perception du spectacle sera liée au dédoublement, au morcellement, à la découverte du moindre geste qui nous apparaît peut-être aujourd’hui comme anodin, mais qui là-bas devait sans doute revêtir une importance considérable. Ces gestes sont toujours beaux et drôles, sans apparat, ils existent à la seule fin d’une fonction essentielle et vitale. Je souhaite que nous soyons toujours en rapport avec eux. Ils nous font vivre, depuis ce temps où la paramécie agite ses cils vibratiles avec l’unique ambition d’accéder au monde pluricellulaire. »
« Je me suis sentie glacée et je me suis recroquevillée pour avoir chaud. J’ai fait une chute dans l’espace, je flottais, j’étais terrifiée, peur de tomber, de me heurter, de me blesser. Toujours roulée en boule. Alternativement contractée - détendue. J’ai senti que je me faufilais à travers un passage étroit. Il y avait des parois autour de moi. Peur de me blesser en forçant le passage, mais lorsque je suis sortie, j’ai compris que je venais de naître et que je ne m’étais pas fait mal. J’étais sortie et j’ai senti de l’air froid autour de moi. Mon corps s’est étiré un peu. Je me sentais épuisée et heureuse. J’étais née ! On eût dit un ange, tant j’étais belle : car mon évanouissement n’avait pas ôté les couleurs vives de mon teint : mes joues étaient incarnates, et mes lèvres comme du corail : j’avais seulement les yeux fermés, mais on m’entendait respirer doucement, ce qui faisait voir que je n’étais pas morte. Quand je me suis redressée, je me suis touché le visage, et la sensation était différente, comme si je n’avais jamais encore senti quelque chose sous ma peau - mon masque d’enfant glacé de terreur s’était déchiré. »