ressources Martine Pisani spectacle as far as the eye can hear

as far as the eye can hear

mercredi 25 mai à 19h à la Friche la Belle de Mai

dans le cadre de LA FRICHE DEDANS/DEHORS, COMME ON NE LA VERRA PLUS
En co-production avec Système Friche Théâtre

production : La compagnie du solitaire
coproduction : Teatro Maria Matos, Lisbonne (P), avec le soutien d’Emmetrop, Bourges (F) et de la DMDTS/aide à l’écriture

conception Martine Pisani interprètes Nino Gallego, Theo Kooijman, Ludovic Rivière

 

When I hear what we call music it seems to me that someone is talking and talking about his feelings or about his ideas or his relationships.
But when I hear traffic, the sound of traffic here on 6th Avenue for instance, I don’t have the feeling that anyone is talking.
I have the feeling that sound is acting. And I Iove the activity of sound.
What is does is it gets louder and quieter and it gets higher and lower and it gets longer and shorter.
It does all those things which I’ve.. I’m completely satisfied with that - I don’t need sound to talk to me.

John Cage

 

as far as the eye can hear est la dernière étape de RUNNING TIMES, un cycle de travaux sur la thématique du temps initié par la compagnie en 2007.
Conçue pour trois protagonistes, cette performance ambitionne la construction d’une image du temps.

Une forme en perpétuel devenir qui se fait en même temps qu’elle se défait.
Qu’il soit urbain, champêtre, abrité, venté, nous tiendrons compte de l’environne¬ment mais avant tout, il est question de créer notre propre paysage, un paysage dans le paysage, un climat dans le climat.
Comment cadrer cette image prise dans l’image plus grande que nous offre le plein air ?
Que percevra le public depuis son assise face à ce qui se déroule ?

Martine Pisani

 

Une chorégraphie dans le paysage , extraits
[…] Le paysage, c’est la nature reconstruite par le regard et la mémoire de l’homme. A fortiori, rien dans un espace paysager du type parc ou jardin n’échappe aux mesures de l’arpenteur. Le plus fort, c’est que les coins les plus vastes et sauvages n’échappent pas non plus à la tentation qu’ont les
hommes de poser dessus une grille permettant de les embrasser : ainsi les canyons les plus monumentaux ont leur point sublime où une table d’orientation propose des lignes de fuite. Les paysagistes d’aujourd’hui comme les peintres, les photographes et les cinéastes posent encore sur la
nature la grille de la machine à dessiner de Dürer.
Nous ne nous attendions pas à les voir rejoints par des danseurs dans les jardins du château de Rentilly, plus précisément dans une clairière au bord de laquelle Martine Pisani a prévu la place de ses spectateurs et ouvert l’éventail de leur vision en disposant quelques rangées de chaises. Ce à
quoi ces spectateurs allaient assister sur le mode de l’exploration, de l’aventure et du jeu, c’est à la mise en valeur de ce qui qualifie un espace paysager, avec ses proximités, ses lointains et ses changements d’échelle. A ce propos, et pour marquer l’enjeu, un des premiers gestes des trois
protagonistes de cette danse est de déposer devant les spectateurs, non pas une grille, mais un paillasson de fer, afin de rendre concomitant, en un sourire, l’espace domestique avec la clairière.
Il existe une notion associant et mêlant un espace privé au sein même d’un espace public - en l’occurrence celui des parcs et jardins -, c’est celle de territoire. Un chien pisserait sur des cailloux, un sanglier se frotterait à l’écorce des arbres, là, les danseurs disposent deux panneaux blancs dans
l’ordre du regard, le plus grand devant, le plus petit derrière, pour jalonner ce territoire et accentuer sa profondeur. A un moment, ils inverseront l’ordre de ces panneaux arrêtant le regard, comme pour
retourner le proche et le lointain. Mais il y aura déjà longtemps que le spectateur, fixé sur son point de vue, aura compris qu’il pourrait tout aussi bien être en face et de l’autre côté du champ délimité et matérialisé par les danseurs, comme si ceux-ci avaient retourné cet espace comme on renverse un sablier.
As far as the eye can hear est une danse accueillant ce hors-champ que sont les sons d’un parc ou
d’un jardin. L’environnement le plus large pénètre et traverse le champ que les danseurs ont mesuré,
là où leur exploration leur ont fait découvrir des embûches, des barrières imaginaires et des gués
inventés.
[…] Nous accumulons des images qui résonnent, alors qu’elles sont suscitées par de simples indices, parce que la danse de Martine Pisani stimule une mémoire enfouie. Les actes et gestes de cette danse n’ont pas pour modèle le quotidien ni la vie, mais la redécouverte de ce qui nous a initiés à l’existence et de ce qui nous permet de ressaisir notre sentiment d’exister au présent. Sous des dehors de comédie et de burlesque, c’est d’apprentissage dont il s’agit : usage du monde et apprentissage : celui du langage dans d’autres danses de Martine Pisani, celui d’un lieu, cette clairière dont les danseurs se mettent en demeure de faire leur ici et maintenant.
Nous avons parlé de mémoire. Nous avons signalé combien le paysage même est un fait culturel et il n’est pas besoin de dénommer le domaine de Rentilly “parc culturel”, en un curieux pléonasme, pour qu’il le soit : même un jardin ouvrier l’est jusqu’à saturation. Peut-être que le temps et le travail du temps auquel Martine Pisani se réfère souvent pour parler de ses dernières danses s’inscrivent-ils dans une épaisseur, une sédimentation d’évocations. Aussi loin que l’oeil peut écouter, il entend le bruit du temps, sa rumeur souterraine, son murmure.
Rejouer les premières fois, c’est réentendre par quoi elles sont relancées tout au long de notre vie :
des lectures et des films.[…]. Cette danse est donc une exhumation consciente de toutes les
stimulations qui l’ont ré-amorcé : pêle-mêle, les robinsonnades d’Olivier Cadiot, la lecture serrée que
Martine Pisani fait de Matière et mémoire de Bergson, les trois évadés dans la forêt du film Down by
law de Jim Jarmusch, avec Roberto Benigni qui réussit à attraper un lapin, ce qui est du pur miracle,
le ressassement suspendu de La dernière bande de Samuel Beckett dont l’impact originel est un
émerveillement amoureux autour duquel le temps cristallise sa pelote, chevelure de jeune femme
déployée au fond d’une barque et se versant dans Le nénuphar blanc de Stéphane Mallarmé où l’on rame beaucoup. Nous disons n’importe quoi ou presque pour indiquer que la clairière est un champde fouilles et que le moindre acte, geste et mouvement des danseurs est la synthèse de toute cette nuée, de toute cette rumeur vue de loin en des proportions agencées comiques et adorables.
Frédéric Valabrègue*, 23 mai 2010.
*dernier ouvrage paru : Le candidat, éd P.O.L, octobre 2010.